Voici un sujet qui anime les foules et qui est brandi à chaque élection comme l’étendard de la liberté ou comme l’ennemi public n°1.
Qu’en penser ?
Est-il choquant d’envisager que l’Etat puisse autoriser une substance que l’on sait mauvaise ? Légaliser permettrait-il de mieux contrôler ?
Quelles seraient les conséquences de la légalisation ?
Afin de répondre à ses questions et tenter de se positionner, il convient d’étudier le contexte juridico-politico social.
Quelques chiffres :
- La consommation de cannabis en France
41,5% des jeunes de 17 ans ont expérimenté le cannabis (Chiffres 2011)
6,5% sont des fumeurs réguliers
32,8% des adultes ont expérimenté le cannabis (Chiffres 2010)
2,1% sont des fumeurs réguliers
3,4% des hommes de 18 à 64 ans ont une consommation régulière
- La mortalité liée au cannabis en France
L’usage du cannabis multiplierait par 3 le risque de cancer du poumon
Conduire sous l’effet du cannabis multiplierait par 1,8 le risque d’accident mortel de la route et par 15 en cas de consommation conjointe d’alcool.
- La répression liée à la vente, l’usage, le transport ou le trafic de cannabis dans la législation française
122 439 interpellations pour usage du cannabis
15 302 interpellations pour usage, revente et trafic de cannabis
Que dit le droit français ?
Le transport, la détention, l’offre, la cession, l’acquisition ou l’emploi illicites de stupéfiants sont punis de dix ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende (article 222-37 du Code pénal ).
L’article L3421 du Code de la santé publique prévoit que la détention de cannabis est un délit passible d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 3750 euros d’amende.
Le décret du 15 octobre 2015 a mis en application une loi du 21 août 2014 introduisant la transaction pénale qui consiste à faire payer une amende plutôt que d’enclencher une procédure judiciaire au tribunal. Il est possible de transiger sur la poursuite des délits prévus par le Code pénal et réprimés d’une peine d’amende ou d’une peine d’un an d’emprisonnement au plus, ce qui concerne donc la détention de cannabis.
En pratique, quelle répression ?
En pratique, les tribunaux tiennent compte de la quantité détenue et des circonstances de la détention (ex: consommation personnelle).
Pour avoir fréquenté les prétoires, je dois dire que la répression en cas d’usage et de petite détention est faible (ex: sursis, travaux d’intérêt général, amende…).
La répression se durcit en cas de récidives mais rien de particulièrement dissuasif.
Les plus aguerris utiliseront les mineurs ou les primo-délinquants pour un risque minimum.
Divers constats s’imposent :
- les peines ne sont aucunement dissuasives
- la peine de prison n’est pas adaptée pour des cas de petite détention et consommation personnelle (ne dit-on pas qu’on entre en prison avec un BEP en délinquance et on en sort avec un master en criminalité ?).
Les politiques et leurs arguments : légalisation ou prohibition
Qu’en est-il du côté des candidats à l’élection présidentielle ?
Ne pouvant être exhaustive (tous ne s’étant pas exprimés sur la question), j’ai choisi des candidats représentant tous bords.
- Jean-Luc MÉLENCHON :
« Je suis contre le cannabis, c’est pour ça que je suis pour sa légalisation ».
Son premier argument vise une question de santé publique : « Je veux que l’on puisse faire campagne contre le cannabis. Pour cela, il faut le légaliser ».
Autre argument, économique cette fois : la lutte contre le trafic de cannabis engendre un coût financier certain tant au niveau policier que judiciaire. Ces dépenses atteindraient, selon le rapport de Terra Nova publié en 2014, 568 millions d’euros par an.
- François FILLON :
François FILLON n’est pas pour la légalisation mais la dépénalisation.
Késako ?
Actuellement l’usage, la détention, le transport de cannabis représentent des délits et sont pénalisés donc sanctionnés par le Code pénal.
La dépénalisation ferait basculer ces infractions du délit à la contravention avec comme sanction une simple amende.
- Emmanuel MACRON:
« Aujourd’hui, le cannabis pose un problème de sécurité, de lien avec la délinquance dans les quartiers difficiles, de financement de réseaux occultes. Et donc on voit bien que la légalisation du cannabis a des intérêts de ce point de vue et a une forme d’efficacité. […] De l’autre côté, j’entends, et je ne suis aujourd’hui pas en situation c’est un sujet que je veux travailler. Je ne suis pas contre, si cette réponse provisoire peut être la mienne aujourd’hui. En même temps, j’entends les préoccupations de santé publique qui sont émises par ailleurs ».
- Benoît HAMON:
Benoît HAMON défend la légalisation du cannabis.
Pour lui, légaliser cette drogue douce permettrait de « tarir l’économie souterraine et les violences » et de faire plus de prévention que de répression.
- Arnaud MONTEBOURG:
« Je pense inutile qu’une élection présidentielle se déroule sur un sujet de cette nature » a-t-il déclaré lors du débat de la primaire de la gauche du 15 janvier 2017.
En 2011, il avait cependant déclaré : « Je suis fermement opposé à toute forme de libéralisation de cannabis ».
- Manuel VALLS:
Lorsqu’il était Premier Ministre, son gouvernement s’est prononcé contre la légalisation. Selon lui, « une société a besoin de normes, de règles, d’interdits et la consommation de cannabis fait partie de ces interdits ».
C’est cependant son gouvernement qui a fait entrer en vigueur le décret d’application d’octobre 2015 sur la transaction pénale.
A noter que son programme ne fait pas état de sa position.
- Marine LE PEN:
« Cette idée (la dépénalisation) est profondément dangereuse. Là où cela a été fait, cela a été dramatique, cela a été l’explosion de la drogue avec des problèmes de santé publique considérables ».
Qu’en penser ?
- Sur l’argument de la santé publique :
En premier lieu, pour répondre à l’argument de Monsieur MÉLENCHON qui consiste à défendre la légalisation pour mieux lutter contre cette drogue, il faut souligner qu’il existe déjà la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MIDELCA).
La MIDELCA, crée en 1982, est placée sous l’autorité du Premier Ministre.
La mission de la MIDELCA est principalement de coordonner l’ensemble des acteurs en matière de lutte antidrogue (lutte contre la toxicomanie et les trafics).
Je ne dis pas que la situation actuelle est la meilleure, mais je ne suis pas convaincue que la solution soit de légaliser le cannabis mais de mieux exploiter les outils pénaux, éducatifs et gouvernementaux existants.
Par ailleurs, la consommation de cannabis peut encourager la consommation d’autres drogues.
LE THC, principe actif du cannabis, est une substance psychoactive qui agit sur le système nerveux.
Outre les cancers du poumons, il peut entraîner une addiction (dépendance psychique), des troubles neurologiques, des problèmes de mémoire et de motivation, un isolement social et une aggravation des troubles psychiques comme l’anxiété et les délires.
Selon de nombreuses études, les consommateurs de cannabis auraient 41% plus de risques de développer une psychose. Plus la consommation de cannabis est importante, plus certaines régions du cerveau seraient réduites, notamment celles impliquées dans la mémoire, les émotions, la peur l’agressivité. Apparaissent également une diminution des performances cognitives et psychomotrices avec des difficultés scolaires chez les adolescents ainsi que des troubles urinaires.
Quid du cannabis dit thérapeutique ?
La consommation thérapeutique est à dissocier de la légalisation pure et simple.
En France, l’agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSPS) a autorité pour délivrer des autorisations nominatives ou de cohorte ATU (Autorisation temporaire d’utilisation) pour tous produits de santé. Les ATU concernent les produits de santé qui ne sont pas autorisés sur le marché français. En 2008, les ATU concernant les cannabinoïdes n’ont été délivrées que pour le Marinol® (dronabinol ou THC).
En effet, il faut souligner que légaliser le cannabis reviendrait à banaliser ce produit, pourtant classifié comme stupéfiant.
Au-delà d’une simple question de santé publique qui reste un large (voire même un autre) débat il faut envisager la question même d’ordre public.
- Sur l’argument économique :
Un des premiers arguments en faveur de la légalisation est économique. La légalisation permettrait à l’Etat de taxer le cannabis.
L’économiste Pierre KOPP estime que la légalisation permettrait d’épargner 300 millions d’euros de dépenses dues aux interpellations d’environ 80.000 personnes somme à laquelle il faudrait ajouter les frais liés aux gardes à vue, au fonctionnement des tribunaux et à l’exécution des peines.
Cela permettrait d’encaisser, selon lui, une taxe approximativement égale à 1 milliard d’euros.
D’une part, la légalisation du cannabis entraînera nécessairement une inflation du trafic des drogues dite « dures » (ex: héroïne, cocaïne, crack, free base…). Les dépenses judiciaires augmenteront pour lutter contre ces trafics grandissant réduisant largement les économies réalisées.
D’autre part, dans la grande majorité, on observe dans les propositions des candidats à l’élection présidentielle que la légalisation ne sera pas totale.
Il restera donc des frais de police et de justice inhérents aux gros trafics.
La réponse pénale doit évoluer : si la solution n’est pas l’enfermement, le laxisme n’est pas non plus la réponse.
Certains mettent en avant que la légalisation favoriserait la création d’emplois. Cependant, cela engendrerait de forte dépenses pour mettre en oeuvre la régulation et le contrôle.
De surcroît, l’argument qui consiste à dire que la légalisation du cannabis permettrait de lutter contre une économie souterraine est fallacieux.
Il serait illusoire d’imaginer que suite à la légalisation les trafiquants partiront à la retraite. Ils exploreront de nouvelles activités (autres drogues, armes…).
En effet, le cannabis est la drogue la plus lucrative pour les trafiquants (beaucoup de consommateurs, peu de répression). Ces derniers se dirigeront donc vers les autres drogues en créant une nouvelle demande. Une nouvelle économie souterraine se développera.
Le président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), Etienne APAIRE, souligne :
« Les criminels ne sont pas fixés sur un produit mais sur l’argent. Si on légalise le cannabis, ils se reporteront vers des drogues dures (cocaïne et autres drogues de synthèse) ».
- Sur la baisse de la délinquance :
Pour certains, la légalisation du cannabis serait un moyen d’éradiquer les violences et en conséquences la délinquance.
Les règlements de compte existeront et seront même plus forts car plus de trafiquants se disputeront un même marché, celui des autres drogues.
De plus, la légalisation développera un narco-tourisme qui pourrait engendrer de nombreuses nuisances et notamment des problématiques liées à l’ordre public.
Et en Europe ?
Aux Pays-Bas, légalisation est intervenue depuis 1976. Elle n’est pas totale : la vente et la consommation dans les « coffee shops » sont tolérées, il reste néanmoins interdit de cultiver la plante.
Pourtant, le constat n’est pas optimiste :
- 20% des meurtres commis ces trois dernières années, aux Pays-Bas, sont le fait des rivalités entre gangs de la drogue.
- Pas de baisse de la consommation
- Développement d’un narco-tourisme.
En Espagne la légalisation date de 2012.
La culture sur une propriété privée et à destination d’une consommation personnelle et la consommation par des adultes dans un espace privé sont légaux.
Il existe également des cannabis clubs privés, équivalents des clubs de cigare, dont 200 à Barcelone.
On observe un fort narco-tourisme notamment à Barcelone appelé la « nouvelle Amsterdam ».